Les plateformes de CLO : un levier stratégique pour l’expérience client dans le secteur bancaire

Dans un secteur bancaire en pleine transformation et à une époque où les consommateurs attendent des expériences sur-mesure, le marché des plateformes de Card-Linked Offers (CLO) devient un levier stratégique pour les banques. En s’appuyant sur les données transactionnelles pour créer ces offres, les plateformes de CLO permettent aux consommateurs de bénéficier de réductions automatiques en utilisant simplement leur carte. Elles stimulent ainsi les ventes incrémentales tout en accompagnant la digitalisation des services bancaires. Cette évolution s’inscrit naturellement dans l’émergence du Financial Media, un segment spécifique du Retail Media qui adapte les principes de la monétisation publicitaire aux canaux bancaires numériques. D’ailleurs, des acteurs comme Paylead, une fintech française fondée en 2016, se positionnent déjà sur le marché du retail media pour les banques en intégrant ces services dans le quotidien des utilisateurs. 

Cette interview est animée par Guillaume Yribarren, directeur de l’activité Conseil chez Galitt, et Jacquelin Becheau La Fonta, co-fondateur de Paylead : elle aborde les défis du retail média dans la banque via le CLO entre autre. Elle soulève des questions cruciales autour de la protection des données (RGPD), de la scalabilité et de l’expérience client hyper-personnalisée sous l’angle du paiement.

Défi 1. Conformité, scalabilité et bonne gestion des données : nouveaux défis des plateformes de CLO. 

Question 1, Guillaume Yribarren : Comment les banques peuvent-elles s’assurer que les plateformes CLO ne compromettent pas la confidentialité des données ou la conformité, en particulier avec l’implication de tiers ? 

Réponse 1, Jacquelin Becheau La Fonta : Les plateformes CLO (Card-Linked Offer) doivent respecter des réglementations strictes en matière de protection des données, comme le RGPD. Pour ce faire, la plupart des banques et des plateformes CLO s’appuient sur des techniques avancées telles que la pseudonymisation des données personnelles : un identifiant tokenisé est créé par la banque pour chaque client et seules les données de transaction liées à ce token sont partagées avec la plateforme CLO. Cette méthode implique que l’identité de l’utilisateur (prénom, nom, etc.) n’est pas connue par les différentes parties prenantes, minimisant ainsi les impacts et les risques sur la vie privée, notamment en cas de violation des données. De plus, la transparence est essentielle pour que l’utilisateur soit informé du traitement de ses données par la plateforme de CLO. Enfin, il est important de souligner que le consentement des utilisateurs est central dès lors que le service de CLO suppose l’acceptation de conditions générales d’utilisation par ces derniers.   

Question 2, Guillaume Yribarren : Quels défis les plateformes CLO doivent-elles surmonter pour se développer sur divers marchés internationaux et s’adapter à différents systèmes de paiement tout en maintenant la flexibilité des banques ? 

Réponse 2, Jacquelin Becheau La Fonta :  

→ Une approche standardisée 

Les plateformes CLO (Card-Linked Offers) font face à plusieurs défis majeurs lorsqu’elles s’étendent à différents marchés et systèmes de paiement, tout en maintenant la flexibilité requise par les banques, leurs principaux partenaires. Concrètement, le traitement des données de paiement multilingues et multi-géographiques exige des pipelines sophistiqués de nettoyage et d’enrichissement, utilisant des algorithmes d’IA et une expertise régionale significative capable de s’adapter à la réalité des commerces qui ouvrent ou ferment quotidiennement. Garantir l’exactitude des données de paiement enrichies est essentiel avant que ces données n’alimentent les algorithmes de segmentation marketing sur lesquels repose le CLO. En pratique, les banques privilégient souvent des intégrations dédiées plutôt que des approches standardisées, notamment dans les projets qui allient paiement et expériences de fidélité. Cela permet d’assurer la meilleure qualité et sécurité des données, tout en offrant une meilleure expérience client, même si nous cherchons toujours utiliser les standards disponibles quand nous le pouvons. 

En outre, la gestion de milliards de transactions exige des entrepôts de données robustes (data warehouses) et des algorithmes de traitement en temps réel efficaces pour offrir la meilleure expérience possible aux consommateurs. Une bonne expérience client repose sur la capacité à traiter ces données en exploitant les technologies d’IA les plus avancées et les langages de programmation de pointe. 

→ Une approche sur-mesure 

Aujourd’hui, le marché est en pleine mutation, et les acteurs nouent de plus en plus de partenariats entre eux (app, banque, marchand, processeur de paiement, open banking : sources de données tierces), facilitant de nouvelles opportunités et expériences pour le consommateur. Le besoin de créer une expérience sur-mesure augmente véritablement la valeur des plateformes de CLO, qui prennent en charge ces complexités pour préserver la simplicité de projet requise par la banque.  

→ S’appuyer sur la règlementation européenne (DSP3)  

La directive DSP2 a pour objectif de standardiser et sécuriser les paiements dans l’UE, ouvrant l’accès des banques aux prestataires tiers pour favoriser l’Open Banking et la concurrence. Cependant, son application varie en raison des différences législatives et technologiques entre pays, limitant l’harmonisation. La future DSP3, attendue en 2026, vise à corriger ces disparités et renforcer la sécurité. Malgré cela, les écarts entre les banques demeurent, certaines ayant des API avancées tandis que d’autres sont freinées par des infrastructures moins modernes, ce qui impacte l’expérience utilisateur de manière inégale à travers l’Europe. Cela renforce la nécessité de s’appuyer sur des plateformes Européennes capables d’organiser le marché, de s’adapter aux spécificités nationales et d’y atteindre la taille critique nécessaire pour véritablement consolider et accélérer le marché Européen. 

Défi 2. Le retail média : clé de voûte de la super-app et du « beyond banking » 

Question 1, Guillaume Yribarren : Comment les institutions financières peuvent-elles adopter des rôles similaires à ceux des médias sans diluer leurs services bancaires fondamentaux ni confondre leur identité de marque ? 

Réponse 1, Jacquelin Becheau La Fonta :  

→ Les banques à l’écoute de la satisfaction des clients 

À une époque où l’expérienceest essentielle, les institutions financières peuvent adopter des stratégies de média qui reposent sur des services à valeur ajoutée, pour enrichir l’expérience client sans pour autant compromettre leurs services fondamentaux. Mieux, cela va même leur permettre de contextualiser ces services. C’est donc bien en intégrant les activités quotidiennes (comme acheter un produit ou service chez vos marques préférées) dans les services bancaires que les banques peuvent augmenter la satisfaction des clients tout en offrant une expérience bancaire numérique fluide qui répond à la demande croissante de services du quotidien et de personnalisation.   

→ Une logique de super-app en intégrant des services « beyond banking » 

Par exemple, permettre aux clients de réserver des voyages dans l’écosystème de la banque – comme le font JPM Chase ou Revolut – peut permettre à la banque d’y associer des  services financiers comme le BNPL (« Buy Now, Pay Later ») ou encore l’assurance de façon personnalisé, dans un contexte qui ne nécessite pas  de promotions agressives et inopportunes de la part de la banque. L’objectif du Financial Media est de créer un écosystème dans la banque, qui permette d’associer les produits bancaires traditionnels dans le quotidien des clients de façon intelligente. C’est à dire en les contextualisant dans des services extra-financiers comme le shopping (offres de CLO), la fidélité (cartes de fidélité intégrées à la carte de paiement, etc.), le voyage (réservation), etc. Il s’agit donc ici d’offrir des services à forte valeur ajoutée, sous la meilleure expérience possible pour le consommateur, ce qui modifie profondément la relation de la banque avec son client, tout en ouvrant de nouvelles lignes de revenu pour l’industrie bancaire.   

Question 2, Guillaume Yribarren : Les banques courent-elles le risque de compromettre leurs services fondamentaux en se concentrant excessivement sur les nouvelles expériences de fidélité et les revenus générés par le retail media ? 

Réponse 2, Jacquelin Becheau La Fonta :  

→ Le retail media comme véritable valeur ajoutée pour les banques traditionnelles 

Mettre l’accent sur les expériences de fidélité peut renforcer les services bancaires fondamentaux. Par exemple, intégrer un programme de fidélité directement dans le moyen de paiement — comme l’accumulation de points de fidélité chez Carrefour simplement en payant avec la carte de la banque — renforce l’offre principale de la banque tout en y ajoutant une réelle valeur. 

→ Le retail media, un véritable avantage concurrentiel pour le secteur financier 

L’incertitude concernant les nouvelles technologies de paiement, comme les systèmes de paiement régionaux ou les paiements instantanés, soulève des questions sur l’avenir du business model traditionnel de cette industrie. Dans ce contexte, l’essor du retail media, offre aux banques une opportunité de créer un écosystème propriétaire et d’exploiter les revenus publicitaires, soutenant à la fois des expériences client 3.0 et de relais de croissance. C’est ce qu’ont compris des banques comme JPM Chase en lançant Chase Media Solution, CommBank avec CommBank Connect, mais aussi Paypal avec PayPal Ads – sa division publicitaire dirigée par Mark Grether, qui a précédemment créé les activités publicitaires d’Uber et d’Amazon. Revolut n’est pas en reste puisque la néo banque a recruté un ancien de TikTok pour diriger une régie d’une trentaine de personnes dont elle espère qu’elle lui générera ⅓ de ses revenus à horizon 2026. Dans l’hexagone les banques traditionnelles sont en train de faire évoluer très rapidement leurs programmes d’avantages pour intégrer une vraie stratégie de Retail Media.  

Défi 3. L’expérience client comme vecteur à la fidélisation. 

Question 1. Guillaume Yribarren : Comment le financial media peut-il changer la façon dont les clients interagissent avec les banques sans nuire à leur confiance dans ces services ? 

Réponse 1 Jacquelin Becheau La Fonta :  

→ La confiance client comme fer de lance de relation avec les banques 

Le financial  media offre aux banques de nouvelles opportunités d’engagement avec les clients en s’appuyant sur la confiance inhérente que 80 % des clients placent déjà en elles. Il faut mettre ce chiffre en face d’un constat plus amer qui doit inciter les banques à évoluer rapidement puisque dans le même temps plus de la moitié (51%) des clients estiment que leur banque n’est pas intéressé par leur faire gagner de l’argent. Pire, près d’1/3 (29%) regrettent l’incapacité de leur banque à comprendre leurs attentes et près de la moitié (47%) sont prêts à ouvrir un compte auprès d’une entreprise de type GAFAM. Il faut comprendre le Financial Media comme un grand virage, qui voit les banques créer des écosystèmes captifs, enrichis de services extra-financiers à forte valeur ajoutée qui précisément permet de redonner du sens aux produits financiers traditionnels avec tous les codes de l’époque en matière d’expérience et de personnalisation. C’est donc d’un changement en profondeur de la relation banque dont-il s’agit, qui prend racine aussi bien dans la confiance des consommateurs dans les institutions financières, que dans la nécessité des banques de mieux répondre aux attentes de leurs clients. . 

Question 2, Guillaume Yribarren :  Comment les banques peuvent-elles offrir un contenu promotionnel pertinent via le retail media, tout en préservant l’expérience client ? 

Réponse 2, Jacquelin Becheau La Fonta :   

→ Un marketing optimisé et non-intrusif  

Chaque banque doit trouver un équilibre entre personnalisation, éthique et protection des données dans la connaissance approfondie du client. Pour ce faire, les banques doivent éviter les tactiques intrusives, comme les messages de type FOMO (Fear of Missing Out), qui peuvent mettre une forte pression sur les clients, par exemple en les informant qu’ils ont manqué un cashback chez une marque après un achat ailleurs. L’objectif est de capitaliser sur un marketing non-intrusif, mais toujours optimisé pour répondre à leurs besoins, en utilisant toutes les technologies disponibles dans le Financial Media.  

→ Répondre aux attentes des clients par le biais d’un programme de fidélité et de récompenses basé sur les paiements 

Pour répondre au besoin exprimé par 76 % des clients bancaires, particulièrement dans le contexte actuel de hausse du coût de la vie, les banques doivent intégrer des programmes de fidélité basés sur les paiements.  Des services innovants, tels que la « Carte de Fidélité Intégrée » de Paylead permettent de relier les programmes de fidélité des enseignes aux moyens du paiement, offrant aux clients la possibilité d’accumuler automatiquement des points sans avoir à jongler avec de multiples cartes, facilitant ainsi le parcours client. L’intégration du retail media dans la banque peut donc améliorer significativement l’expérience client en rendant les interactions bancaires quotidiennes plus pratiques, adaptées et gratifiantes.   

→ L’IA : un outil incontournable pour un marketing sur-mesure 

Les banques doivent adapter leurs messages promotionnels de manière réfléchie avec le besoin du client comme point de départ et non la rentabilité du produit qu’elles veulent promouvoir. Pour cela, dans l’écosystème captif qu’offrirait une stratégie de Financial Media, l’utilisation d’algorithmes de personnalisation permet d’ajuster le moment, le contexte et le contenu des messages en fonction des comportements et préférences des clients de manière personnalisée…  

→ S’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs est un impératif pour les banques 

Les expériences de fidélité permettent aux banques d’introduire de nouveaux produits adaptés aux nouveaux besoins sans interférer dans l’expérience client. Les plateformes de CLO exploitent les données de paiement pour concevoir des campagnes marketing adaptées, dans l’écosystème captif de la banque qui intègre des contenus tiers pour créer la contextualisation dont on parle ici et qui vient apporter pertinence et engagement client . Quand on pense que seulement 27 % des clients estiment que leur banque propose des services adaptés, et 60 % ne reçoivent pas d’offres personnalisées. Pour améliorer cette situation, les banques doivent se concentrer sur des offres réellement pertinentes et tirer parti de la personnalisation avancée, surtout face à la concurrence des entreprises de type GAFAM, qui attire l’intérêt des clients.